« Les premiers utilisateurs de téléphones mobiles étaient considérés comme des frimeurs »
La téléphonie mobile numérique fête ses 30 ans. Jürg Studerus a été expert en téléphonie mobile auprès de Swisscom pendant plus de 20 ans. Il explique comment cette technologie a évolué et évoluera encore ces prochaines années.
En Suisse, la deuxième génération de téléphonie mobile 2G, également connue sous le nom de technologie GSM (Global System for Mobile Communications), a été introduite en 1993 et n’a cessé de s’améliorer depuis. Elle a marqué l’essor de la téléphonie mobile et de larges couches de la population ont commencé à l’utiliser. À l’époque, la technologie était conçue pour la téléphonie vocale et l’échange de petites quantités de données - un SMS parfois, rarement un e-mail.
Aujourd’hui, la téléphonie mobile a atteint l’âge adulte. Elle a 30 ans et en est à sa cinquième génération (5G). Actuellement, selon l’Association suisse des télécommunications asut, la Suisse compte 4,6 millions d’appareils compatibles avec la 5G. De nombreux utilisateurs paient avec leur téléphone via Twint, travaillent sur leur ordinateur durant leurs déplacements, accédant directement aux données de leur entreprise, regardent des films en streaming ou achètent des équipements sportifs dernier cri en ligne – le tout grâce à la téléphonie mobile. On transmet désormais 200 fois plus de données qu’il y a dix ans.
Jürg Studerus a suivi de près l’évolution de la téléphonie mobile. Après avoir travaillé pendant plus de 20 ans chez Swisscom dans le domaine « téléphonie mobile et environnement », ce préretraité a décidé de prendre du recul et de poursuivre ses propres projets, qu’ils soient proches ou éloignés de son métier.
Entretien avec Jürg Studerus
Ancien expert en téléphonie mobile chez Swisscom
Auriez-vous pensé, il y a 30 ans, que la téléphonie mobile aurait une telle influence sur nos vies ?
Non, bien sûr que non. Les premiers utilisateurs de téléphones mobiles - à l’époque, il s’agissait en majorité d’hommes - étaient considérés comme des frimeurs. Ils exhibaient leur téléphone portable dans une poche de ceinture et parlaient fort. Nous n’étions jamais sûrs que cet appel important n’était pas fictif.
Comment décririez-vous en quelques mots l’histoire de la téléphonie mobile ?
Je répondrai à votre question par une question : quel autre appareil électronique a connu une telle diffusion et une utilisation aussi intensive ? Le succès du téléphone mobile est sans précédent. Tous ceux qui en veulent un en possède un. Dans le Sud de la planète, le mobile est souvent le seul moyen de télécommunication.
2G, 3G, 4G, 5G – quelles sont selon vous les différences entre ces technologies « G » successives ?
Il s’agit d’une évolution constante vers une meilleure efficacité. On peut recevoir et envoyer de plus en plus de données avec la même quantité d’énergie. D’autre part, considérons l’empreinte environnementale : par unité de données transmises, la 5G génère 85% de CO2 en moins que les normes antérieures. En outre, chaque « G » est plus sûre que la précédente et les progrès réalisés au niveau du matériel et des logiciels permettent de réduire le temps de réaction, ce qui est important pour les objets télécommandés, par exemple.
Le déploiement de la dernière génération de téléphonie mobile suscite régulièrement des oppositions. 3'200 demandes de permis de construire sont actuellement en suspens. Que se passe-t-il ?
En Suisse, les technologies sans fil sont historiquement associées à la notion de risque. En outre, certains groupes sont parvenus à diaboliser les antennes de téléphonie mobile. Ainsi, certaines personnes croient qu’elles émettent un électrosmog potentiellement dangereux. Or, même avec plusieurs milliers d’études et des décennies de recherche, cette dangerosité n’a absolument pas été prouvée, et encore moins démontrée et expliquée de manière causale. A cela s’ajoute le fait que les terminaux tels que les téléphones mobiles ou les tablettes exposent les utilisateurs à un rayonnement nettement plus important que les antennes. Il y a un fossé entre l’émotion et l’évidence.
Comment expliquer cette attitude négative vis-à-vis de la 5G ?
En se basant sur l’historique évoqué plus haut. L’insécurité latente, voire la peur, a été renforcée par la publicité agressive des opérateurs, qui ont fait la promotion de la technique et de leurs infrastructures, au détriment des applications et de leur utilité. Les adeptes d’explications spéculatives du monde ont pris le train en marche et le mal était fait.
Malheureusement, dès le début, la Confédération a donné trop peu d’informations sur les risques et les opportunités de la 5G, tout en encourageant l’introduction de cette nouvelle génération de téléphonie mobile.
Y a-t-il eu les mêmes résistances lors de l’introduction des générations précédentes ?
Toute nouvelle technologie est a priori qualifiée par ses détracteurs comme étant encore plus dangereuse que l’ancienne. Lors de l’introduction de la 3G, des vagues de protestation se sont également soulevées. Le déclencheur en a été une étude menée aux Pays-Bas en 2003, qui avait constaté des conséquences négatives sur le bien-être ressenti et les fonctions cognitives des personnes exposées à des signaux 3G. Une étude de suivi identique n’est toutefois pas parvenue à reproduire ces effets. Un jour, en faisant une recherche sur Internet, j’ai trouvé une fiche d’information contre la 3G publiée par une ONG connue, dont le texte était dans l’ensemble identique à une fiche d’information de la même ONG sur la 5G. Chercher et remplacer est une fonction de Word.
Il n’en demeure pas moins que la majorité des Suisses ont besoin d’Internet au quotidien. Que serait la Suisse sans téléphonie mobile ?
Chacun d’entre nous est peut répondre à cette question. Il lui suffit de se remémorer brièvement à quoi il utilise son smartphone chaque jour. Je laisse volontiers à chacun et chacune le soin de décider s’il s’agit d’un usage intelligent de ces technologies.
Que souhaitez-vous pour l’avenir de la téléphonie mobile ?
Sur le plan technique, le mieux doit continuer à être l’ennemi du bien et la technologie doit devenir encore plus efficace. Ses applications doivent aider à relever les principaux défis auxquels est confrontée l’humanité. Dans le débat sur la téléphonie mobile et l’environnement, je souhaite que l’on se débarrasse de ses visières, avec moins d’intuition et plus d’objectivité.