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Garder la tête froide dans le débat enflammé autour de la 5G

26 octobre 2022

Il est la bête noire des activistes. Pourtant, au début de sa carrière, Martin Röösli, professeur d'épidémiologie environnementale, était aussi sceptique à l'égard de la téléphonie mobile que ses opposants actuels.

Certaines personnes se trouvent au bon endroit au bon moment. C’est le cas de Martin Röösli. Nous sommes en 2001 et ce père de deux enfants, dont il s’occupe, vient de terminer sa thèse de doctorat à l’Université de Bâle après des études en sciences de l'environnement à l'EPFZ et un bref passage dans l’enseignement. « A 34 ans, j'étais trop vieux pour une carrière scientifique », raconte-t-il.

À cette époque, la société vit une révolution technologique et la téléphonie mobile entame sa marche triomphale. Mais le jeune scientifique est convaincu que ce qui se passe là n’est pas sain : « J'ai été interloqué par l’introduction à large échelle de cette nouvelle technologie, sans que quiconque ne fasse de recherche à son sujet. »

Rassuré par ses propres recherches
Martin Röösli, qui travaille alors à l'Institut de médecine préventive et sociale de l'Université de Berne, décide de combler cette lacune – se muant ainsi en homme providentiel que les médias consultent régulièrement aujourd’hui encore, lorsqu'il est question de téléphonie mobile. En 2002, il rédige un premier rapport pour l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), et en 2004, participe à une étude du même office visant à « comprendre les inquiétudes de la population suisse en matière de champs électromagnétiques ». Résultat : l'écrasante majorité de la population s’en inquiète, sans toutefois souffrir de symptômes. Cette situation recèle « un important potentiel de conflit social ». Le Conseil fédéral réagit et donne son feu vert à un projet national de recherche sur les « risques engendrés par le rayonnement non ionisant ». Le projet se termine en 2011 et Martin Röösli est rassuré : « J’ai compris alors que je pouvais m’équiper d’un appareil WLAN ». En effet, ni lui ni ses collègues n’ont « mis en évidence de nouveaux faits alarmants. »

« Le typique expert alternatif est un homme à la retraite qui n'a jamais mené aucune recherche sérieuse sur le sujet. » Martin Röösli.

C’est justement parce qu’ils n’ont « rien » trouvé que Martin Röösli, qui occupe désormais la chaire d'épidémiologie environnementale de l'Institut tropical et de santé publique suisse de Bâle, est devenu le spécialiste de référence sur la question. Il a peu de concurrence en Suisse car, à l’exception des sept membres alémaniques du groupe consultatif d'experts en matière de rayonnement non ionisant (BERENIS) qu’il dirige, ce domaine est considéré comme peu gratifiant pour les chercheurs. « Ce qui les motive, c’est la perspective de faire une découverte. Dès le début, j’ai été convaincu que ce serait mon cas. »

Pour valider son intuition, Martin Röösli parcourt toute la Suisse dès le début du millénaire, fait des mesures auprès d'antennes et des tests sur des personnes dites « électrosensibles », dont il continue à s'occuper. « C’est passionnant de parler avec elles, dit-il. Quand une personne a un problème, j'éprouve d'abord de l'empathie. » Notamment pour un homme que le chercheur a convié dans son laboratoire pour vérifier s’il ressentait réellement le rayonnement des téléphones mobiles. L'homme n’a réagi qu’à quatre tests sur dix. « Un pur hasard », déclare Martin Röösli.

L’homme concerné a toutefois qualifié ce taux de réussite de « bon résultat ». Impossible pour le scientifique de le contredire : « Les gens viennent chercher une confirmation scientifique de leurs craintes. » C'est une sorte de guerre de croyances, où les chercheurs dits alternatifs ont la cote. « Le typique expert alternatif est un homme à la retraite qui n'a jamais mené aucune recherche sérieuse sur le sujet », commente Martin Röösli. 

« Si l'on considère l’ensemble des titulaires de doctorat comme des chercheurs, on va trouver plus de soi-disant chercheurs affirmant que les champs électromagnétiques sont dangereux que de chercheurs en mesure de prouver le contraire", explique Martin Röösli. Selon lui, ce déséquilibre est problématique, et fournit des munitions à ses adversaires. L'un des principaux reproches adressés à Martin Röösli est qu’il aurait été acheté.

« Avec la pandémie de Covid-19, les gens se sont trouvé un nouveau cheval de bataille. »

En réalité, ses recherches sont intégralement financées par les pouvoirs publics ou des fondations d'utilité publique. Pour ces dernières, il peut arriver que les fonds proviennent du secteur des télécommunications. Mais Martin Röösli n'y voit pas de problème « tant que ces bailleurs de fonds n’exercent pas d'influence sur l’attribution et le choix des projets. » De plus, dans ce débat enflammé, on oublie souvent que Martin Röösli ne fait pas que des heureux dans le monde des télécommunications.
Il a notamment publié une étude indiquant que les jeunes qui tiennent constamment leur portable à l'oreille altèrent leur mémoire. Ce constat n’est pas lié aux antennes, mais plutôt à la puissance du signal près de l'oreille. En effet, selon Martin Röösli, « si la connexion est mauvaise, un téléphone mobile émettra jusqu'à 100 000 fois plus de rayonnement que si la connexion est stable .

Lutter contre les balivernes
Lors de l'entretien, le Lucernois paraît réservé, presque distant. Mais un chercheur régulièrement attaqué par les réseaux sociaux ou les commentaires, en tant que suppôt d’une industrie nocive pour la santé, peut-il vraiment garder son calme en toutes circonstances ? « Cela laisse évidemment des traces. Et parfois, je suis psychologiquement très impliqué, dit-il. J'essaie juste de communiquer les faits avec le moins d'émotions possible ». Il a certes vécu « des moments pénibles », mais seul « un groupe plutôt restreint » est vraiment militant. Quoi qu’il en soit : « Avec la pandémie de Covid-19, les gens se sont trouvé un nouveau cheval de bataille », constate-t-il. Mais il s’énerve quand il entend des balivernes telles que le Covid et la 5G seraient liés : « Je me sens alors la responsabilité de rétablir les faits. »

« Dans le monde, les personnes qui possèdent un téléphone portable sont plus nombreuses que celles qui ont accès à l'eau potable, c'est pourquoi il est nécessaire de se pencher sur cette question ». Martin Röösli

Toutefois, depuis quelques années, le rayonnement des téléphones mobiles ne se trouve plus au centre du travail de Martin Röösli. Désormais, ce sont les effets du bruit sur la santé qui retiennent son attention. Son groupe de recherche a ainsi documenté un lien entre le bruit et le diabète, démontrant qu'environ 500 des quelque 20 000 décès annuels dus à des maladies cardiovasculaires en Suisse étaient entre autres imputables au bruit. Il a en outre pu prouver que les zones limitées à 30 km/h favorisaient une meilleure santé – et ce principalement en raison de la diminution des nuisances sonores.

C'est presque un paradoxe : plus Martin Röösli s'intéresse au bruit, plus il est au calme – même s'il a des doutes. « Le prochain débat politique portera sur les valeurs limites d’exposition au bruit », prophétise-t-il. Néanmoins, il estime important que les chercheurs ne se découragent pas à force de ne rien trouver concernant champs électromagnétiques. En effet, rappelle le chercheur, «il y a dans le monde plus de personnes qui possèdent un téléphone portable que de personnes qui ont accès à l’eau potable. Il est donc nécessaire de s’intéresser à ce sujet de près.»

Auteure: Astrid Tomczak-Plewka (Cet article est paru le 24 janvier 2022 sur higgs.ch).
L'épidémiologiste environnemental Martin Röösli travaille pour l'Institut Tropical et de Santé Publique Suisse à Bâle.

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