Retour aux articles

Pourquoi avons-nous autant de mal à évaluer les risques ?

29 septembre 2022

Qu'il s'agisse de maladies mortelles, de gaz radioactifs ou du rayonnement de la 5G, notre intuition ne suffit pas à évaluer les risques pour notre santé. C'est pourquoi de nouvelles approches sont nécessaires pour communiquer ces risques. 

Tentons une petite expérience de pensée.

  •  1 : La semaine dernière, vous avez été en contact avec une maladie rare et incurable. Si vous êtes infecté par cette maladie, vous mourrez rapidement et sans douleur en une semaine. La probabilité que vous soyez contaminé est de un sur mille. Cela signifie que sur mille personnes qui entrent en contact avec le virus, une seule est contaminée. Si la maladie se déclare, il n'y a pas de traitement, mais il est possible de se faire vacciner. Malheureusement, le nombre de vaccins est limité et réservés aux malades qui sont prêt à payer très cher pour l’obtenir. Quel prix maximal accepteriez-vous de payer pour être vacciné ?
  • 2 : Même situation que dans le scénario 1, mais la probabilité d'être contaminé est de quatre sur mille, donc quatre personnes sur mille seront contaminés. De plus, le vaccin n'est efficace que chez une personne sur quatre. Quel prix maximal accepteriez-vous de payer pour être vacciné ?
  • 3 : Une étude est menée sur la maladie décrite ci-dessus. Pour cela, on recherche des volontaires qui s'exposent au risque de mourir lors de l'essai avec une probabilité de un sur mille. Les 20 volontaires qui exigent le moins d'argent peuvent participer. Quelle est la rémunération la plus basse que vous demanderiez pour participer à cette expérience ?

Un même risque évalué de manière différente
Cette expérience de pensée, mise au point en 1983 par l'économiste américain Richard H. Thaler, soulève certes des questions éthiques - mais les résultats de l'enquête réalisée à l'époque demeurent intéressants : pour le scénario 1, la somme moyenne que les gens étaient disposés à payer était de 800 dollars, pour le scénario 2 de 250 dollars et pour le scénario 3, ils demandaient 100 000 dollars. Je ne me trompe pas en supposant que l’on retrouve un schéma similaire chez vous, même si, mathématiquement parlant, les trois risques sont identiques. Toutefois, en se basant sur son intuition, on évalue ces risques de manière très différente. En effet, selon le scénario étudié, on a pu, au cours de l'expérience, soit éliminer complètement le risque, soit l'éliminer partiellement, soit même d’acquérir un nouveau risque.

Ce modèle d'évaluation intuitive des risques peut être extrapolé aux questions environnementales. Le risque résiduel représenté par la 5G est nettement plus présent dans le débat public que le risque incontesté de maladie lié au radon. Le radon est un gaz radioactif naturel qui s'accumule dans les espaces intérieurs. En Suisse, on estime que le radon provoque chaque année entre 300 et 600 décès consécutifs à un cancer du poumon. Cette marge d'incertitude – entre 300 et 600 – est déjà plus importante que ce que pourrait raisonnablement être un éventuel risque lié au rayonnement 5G. Mais comme nous sommes exposés au radon depuis toujours et que ce gaz est d'origine naturelle, il semble nettement moins menaçant que la 5G. 

Le risque zéro n'existe pas
En principe, on peut faire quelque chose contre le radon, mais le risque zéro ne sera jamais atteint. Conformément au scénario 2 ci-dessus, la volonté de prendre des mesures est moindre. Il en va tout autrement avec la 5G. Le risque est nouveau et résulte d’un choix de société - ce qui correspond au scénario 3. Et même si, d’un point de vue individuel, le risque potentiel lié à la 5G est faible, on peine à accepter que la science ne puisse donner un chèque en blanc pour le risque zéro - comme dans le scénario 1.

La même évaluation intuitive des risques s'observe dans le cadre de la vaccination contre le Covid-19. Une partie de la population accepte difficilement de s'exposer à un risque choisi (scénario 3) alors que l'alternative est de ne rien faire, et de finir par être naturellement contaminé. Le fait que la vaccination ne soit pas efficace à 100% (scénario 2) réduit encore la prédisposition à se faire vacciner. Même si un certain degré de scepticisme à l'égard de ce vaccin est tout à fait normal, voire attendu, il est surprenant de voir la proportion de personnes qui, en Suisse, ont renoncé à une diminution incontestable du risque d’être contaminé par le Covid-19 grâce à un vaccin. Manifestement, ces personnes ne peuvent pas être convaincues des avantages de la vaccination comparativement au risque de maladie. L'une des raisons en est probablement l'évaluation intuitive des risques expliquée plus haut.

Un tableau de bord pour communiquer les risques
La communication autour de la vaccination contre le Covid repose principalement sur des informations qualitatives. Toutefois, je suis convaincu qu’une partie de la population a besoin de chiffres et de faits pour surmonter l’obstacle de l’évaluation intuitive et ainsi effectuer une pesée objective des risques et des bénéfices. Un tableau de bord avec les chiffres les plus récents ne suffit pas. Il faudrait le compléter avec des données sur les avantages de la vaccination par rapport au risque de contamination par le Covid-19 pour les différents groupes d'âge, et l’actualiser en permanence selon les dernières connaissances et variants. Il s'agit d'une démarche scientifiquement exigeante et empreinte d'incertitudes. Toutefois, au vu de l’évolution de la pandémie, j'espère vivement que cette stratégie de communication sera expérimentée.

Car les opinions sur la vaccination s’étant cristallisées, de nouvelles approches sont nécessaires. Si cela est valable aujourd’hui, cela le sera encore plus dans quelques mois, lorsque l'immunité se sera à nouveau affaiblie suite au vaccin ou à une contamination. À moins que nous n’acceptions en Suisse un large éventail de maladies inutiles avec des conséquences à long terme.

Auteur : Martin Röösli (cet article a été publié sur higgs.ch le 1 avril 2021). L'épidémiologiste environnemental Martin Röösli est chercheur auprès de l'Institut Tropical et de Santé Publique Suisse à Bâle. 

Pour plus d’informations :

Retour aux articles

Articles similaires

Tous les articles